Data et digitalisation : vers une expertise comptable augmentée

La transformation numérique de nos sociétés et de nos économies s’est traduite par une montée en puissance du concept de « donnée », ou « data ». A l’origine, ces termes sont utilisés pour désigner « ce qui est connu ». La donnée est ainsi le point de départ qui permet la mise en œuvre d’un raisonnement, d’un examen, d’une recherche.

Cela aide à comprendre l’opportunité que représente la production démultipliée de data à l’heure de la digitalisation généralisée. Les données sont une base qu’il est possible de travailler, agréger, croiser, afin d’en tirer une réelle information. C’est l’objet du Smart Data qui, selon le domaine où il est appliqué, permet de mieux connaître un marché, un client, une tendance, etc…

Avec la digitalisation de l’expertise comptable, les données constituent également une ressource abondante dans les cabinets. De sources et de natures variées, la data collectée par les professionnels du chiffre constitue – à condition d’être réellement exploitée – une clé de transformation de l’expertise comptable et un levier de performance pour les cabinets.

 

L’explosion des données numériques : comment la data s’est généralisée

Big data, data center, open data... Ces expressions font désormais partie du langage courant. Elles témoignent de la place grandissante prise par les données dans nos sociétés et nos économies.

 

L’essor du numérique, à l’origine de la multiplication des données

La montée en puissance des outils informatiques et des technologies numériques au cours des dernières décennies s’est faite avec le développement des ordinateurs personnels, l’éclosion du web et son évolution. Ces derniers sont en grande partie responsables de la production croissante de données.

Plus récemment, l’avènement de l’internet des objets et les progrès de la maison connectée génèrent aujourd’hui encore plus de données sur les usages des particuliers.

Les individus sont connectés entre eux grâce aux réseaux sociaux, et le sont également avec des objets comme la Smart Watch ou encore le système de chauffage de leur maison. Et les entreprises ne sont pas en reste : le passage au « tout-digital » suscite la production de différentes formes de données nouvelles.

 

Un volume de données en constante augmentation et de nouveaux outils pour les traiter

Apparu dans les années 1960, le terme de Big Data, traduit souvent par « données massives », pourrait bientôt ne plus suffire à décrire la masse de données produites.

A mesure que les données se sont multipliées, les outils d’analyse traditionnels ont perdu de leur efficacité. De nouvelles technologies ont donc été mises au point pour répondre à ce nouveau besoin de comprendre des données complexes. Rassemblées sous le terme Big Data, elles répondent à un triple enjeu résumé par les « 3V » qui caractérisent les données telles qu’elles sont produites aujourd’hui :

Volumétrie

les données sont générées en très grande quantité

Vélocité

elles le sont rapidement et doivent pouvoir être traitées aussi rapidement

Variété

elles proviennent de sources différentes et présentent des structures variées

Des outils de gestion, d’extraction, de data-mining, d’analyse et de croisement des données rendent possibles de nouveaux traitements. Google Analytics permet par exemple de suivre la performance d’un site internet, Smartisi ou Queoval de gérer la relation client, SAP ou Akuiteo de comprendre toutes données liées à la gestion de l’entreprise.

Selon l’étude Data Age 2025 menée par le cabinet d’analystes IDC, le volume total de données à analyser devrait être multiplié par 8 entre 2017 et 2025. D’ici quelques années ce volume atteindra, selon les spécialistes, 175 zettaoctets. Sachant qu’un zettaoctet correspond à 1000 milliards de gigaoctets, le chiffre est considérable.

 

Un gisement d’informations à travailler

Seule l’utilisation d’outils de traitement des données adaptés permettent de faire de la data un véritable atout. Ainsi, comme l’explique Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, les données sont souvent présentées comme le pétrole du XXIème siècle. Mais contrairement à l’or noir, elles sont une ressource inépuisable et peuvent être plus aisément exploitées qu’un gisement de pétrole.

Toutefois, à l’image du pétrole qui fait l’objet d’un raffinage, la data nécessite d’être traitée pour pouvoir en tirer des informations pertinentes. Ce n’est qu’au prix d’un travail d’analyse qu’elle est porteuse de valeur pour les entreprises.

 

De plus en plus de data disponible dans les cabinets comptables

La multiplication des données est une réalité dans tous les secteurs économiques. Elle se constate aussi au sein des cabinets d’expertise comptable.

 

L’expert-comptable au cœur des flux de données de ses clients

Depuis toujours, les cabinets disposent de quantité d’informations au sujet de leurs clients : des éléments constitutifs de l’identité de l’entreprise, à ses bilans et pièces comptables en passant par le patrimoine de son dirigeant. De plus la transition numérique se traduit par une dématérialisation croissante des échanges d’informations, ce qui les rend aussi plus facilement disponibles.

S’ajoute à cela l’émergence de nouvelles sources de données. C’est le cas des fichiers EDI utilisés pour la télétransmission des déclarations et notamment le dépôt de la liasse fiscale. Les déclarations sociales nominatives (DSN) et les Fichiers des Écritures Comptables (FEC) constituent d’autres sources de données brutes.

A travers la tenue comptable, les déclarations qu’il effectue pour le compte de son client, son rôle de conseil et de tiers de confiance, l’expert-comptable est par nature au cœur des flux de données des entreprises.

A travers la tenue comptable, les déclarations qu’il effectue pour le compte de son client, son rôle de conseil et de tiers de confiance, l’expert-comptable est par nature au cœur des flux de données des entreprises.

 

Une masse de données considérable et constamment étoffée

Pour chaque dossier client, les cabinets peuvent stocker une grande variété de données : prêts obtenus et leurs conditions, factures clients et fournisseurs, contrats d’assurance, de bail, prévisionnel, indicateurs clés de performance (KPI), données bancaires, masse salariale, etc… Ils disposent ainsi de données statistiques stratégiques.

Ces données stockées par les experts-comptables s’enrichissent en permanence, à chaque nouvelle opération, à chaque mise à jour des dossiers. Elles constituent donc pour eux une matière première inépuisable.

Se pose alors les questions du stockage mais aussi du transfert des données. Des normes telles que la certification ISO 27001 pour le stockage des données ont été mises en place afin de garantir la sécurité des données des clients à tout moment. Quant au transfert de données, de nombreuses solutions de gestion électronique des documents (MyCompanyFiles, Demat’Box…) ont été développées pour offrir aux entreprises et à leur cabinet d’expertise comptable un service fluide.

 

Des données de plus en plus standardisées et homogènes

Avec la digitalisation, les flux de données qui alimentent les cabinets s’intensifient et la variété de leurs sources s’accroît. En parallèle, l’évolution de la réglementation et des usages en matière de dématérialisation conduit aussi à homogénéiser ces données.

Différents standards sont encouragés ou imposés pour certaines pièces comptables. On peut citer par exemple le format Factur-X, une norme européenne pour la facture dématérialisée, ou la nouvelle réglementation applicable au bulletin de paie numérique. De même, le FEC doit respecter des normes précises, définies dans l’article A47 A-1 du Livre des Procédures Fiscales : qu’il s’agisse du format du fichier, de l’organisation de ses colonnes ou de son contenu, ces critères doivent être scrupuleusement respectés sous peine de remettre en cause la recevabilité du fichier par l’administration fiscale.

Cette standardisation des données rend possible l’exploitation de cette ressource par les experts-comptables.

 

L’essor de solutions basées sur le Smart Data

Les outils de Smart Data transforment les données brutes en données intelligentes et exploitables. Ils amènent une nouvelle approche du traitement de données, en croisant, triant et extrayant les données réellement pertinentes. Leur utilisation permet aux cabinets de proposer de nouveaux services pour mieux répondre aux besoins de leurs clients.

 

Data et digital, nouveaux acteurs du cabinet

La transformation digitale des cabinets d’expertise comptable se joue à tous les niveaux, et de nombreuses solutions tirant partie de la data ont d’ores-et-déjà été adoptées.

La dématérialisation, ajoutée à des solutions de reconnaissance des factures basées sur l’intelligence artificielle (IA), automatisent la saisie comptable. Il en va de même pour les contrôles comptables mis en place par le cabinet, qui utilisent aujourd’hui des outils basés sur des techniques de data-mining. Il s’agit de techniques d’explorations de très grands volumes de données qui, couplées à de puissants algorithmes, permettent de réaliser des analyses exhaustives et en profondeur, afin d’en dégager des connaissances.

Les outils d’analyse et de suivi des données utilisés par les cabinets fournissent plus d’informations pertinentes aux experts-comptables. Ces derniers sont en capacité de mieux conseiller leurs clients et ce, sur plus de sujets.

Laurent Lanzini, expert-comptable en entreprise, Senior Manager chez Square | Tallis et membre de l’association ECE

Le FEC peut également être utilisé comme un outil de BI, dont on peut tirer des indicateurs de pilotage pour faire du reporting, voire de l’analyse prédictive.

La Business Intelligence (BI) représente l’ensemble des outils qui collectent, traitent et analysent les données brutes pour les transformer en objets visuels tels que des images ou des graphiques, afin d’en faciliter la lecture et d’en tirer les meilleurs enseignements possibles. Grâce à une meilleure visualisation des informations, technique aussi appelée Data Visualisation, ces outils constituent une véritable aide à la décision pour les dirigeants d’entreprises.

La relation client aussi se digitalise avec l’adoption de plateformes collaboratives, de portails en ligne permettant le chargement des documents des clients, et plus largement des outils de gestion électronique des documents (GED).

En interne, le digital diffuse d’autres modes de travail. De nouveaux outils de gestion sont proposés, favorisant le travail collaboratif et à distance. De plus en plus, ils misent sur l’interopérabilité avec d’autres outils, à l’instar de Fulll ou du Village Connecté. D’autres solutions permettent au cabinet d’optimiser leur organisation, comme les logiciels Beeye ou Vizmatch.

 

Un expert-comptable augmenté

Le développement de ces outils transforme considérablement les cabinets d’expertise comptable et leur donne les moyens de mieux répondre aux attentes de leurs clients. Celles-ci aussi évoluent : de plus en plus, les entreprises sont en demande de réactivité, d’accompagnement, de conseil personnalisé.

L’amélioration de la productivité des cabinets passe par une automatisation des tâches chronophages à moindre valeur ajoutée – comme la saisie manuelle des factures. Le temps gagné peut ainsi être réinvesti sur des activités plus créatrices de valeur et notamment le conseil aux clients.

Les cabinets peuvent proposer de nouveaux services orientés data aux entreprises. Le croisement et l’analyse de données permettent ainsi une aide au pilotage, grâce à des indicateurs de performance. Il est possible désormais de faire des comparaisons très précises entre la situation de l’entreprise et son secteur afin d’aider au mieux le client dans ses décisions.

Des nouvelles missions d’accompagnement sont à bâtir, par exemple pour aider les PME dans leur propre transition digitale, ou épauler les clients face aux nouvelles exigences fiscales ou sociales.

Enfin la digitalisation constitue aussi un bon moyen pour les cabinets d’améliorer et dynamiser leur image, à destination des prospects, mais aussi des potentiels talents à recruter.

 

L’analyse du FEC : un exemple d’exploitation de la data par les experts-comptables

Alors que la data se place désormais au cœur de l’expertise comptable, le fichier des écritures comptables (FEC) est un filon que les professionnels du chiffre ont tout intérêt à exploiter.

 

Le FEC, levier de renforcement et d’informatisation des contrôles fiscaux

L’administration fiscale se digitalise et mise sur la data. Elle s’est progressivement dotée de moyens d’utiliser les données des entreprises pour améliorer ses contrôles et la lutte contre la fraude.

La révolution FEC, démarrée en 2014 marque une étape clé de ce mouvement. Ce fichier, à présenter au début de chaque contrôle, doit reprendre l’ensemble des écritures d’un exercice selon un format strictement défini. Dès lors, l’administration dispose d’une présentation homogène des données comptables des entreprises.

Cette standardisation rend possible l’utilisation d’algorithmes et de solutions de data-mining pour repérer les erreurs et les fraudes. Le contrôle fiscal s’automatise. Preuve de l’efficacité de cette nouvelle méthode, les chiffres du bilan de la lutte contre la fraude fiscale en 2019 sont en nette augmentation par rapport à l’année précédente : 785 millions d’euros ont été récupérés en 2019 grâce au data-mining. La mise en place de l’examen de comptabilité, un contrôle à distance, témoigne aussi de son intensification.

 

De multiples raisons d’exploiter le FEC pour les experts-comptables

Utilisée par l’administration fiscale, l’analyse du FEC peut aussi être menée à l’initiative des professionnels du chiffre.

Le FEC est avant tout un outil de maîtrise du risque fiscal des dossiers. S’équiper de technologies d’analyse du FEC, c’est pour les experts-comptables se doter des mêmes compétences que l’administration. En analysant les écritures comptables avant leur validation définitive dans l’ERP, les professionnels du chiffre peuvent effectuer une "pré-analyse" sur des FEC provisoires. Ils peuvent ainsi détecter en amont les erreurs ou incongruités susceptibles d’interpeller les vérificateurs, et les corriger afin de remettre un FEC exempt d’anomalies à la DGFiP. Cela permet aussi d’anticiper le risque fiscal de l’entreprise concernée, en préparant au préalable les justifications et réponses aux questions de l’administration.

L’analyse du FEC permet également aux experts-comptables de s’assurer de la qualité de la tenue comptable alors que l’automatisation suscite de nouvelles erreurs.

En ce sens, l’analyse du FEC permet de challenger les process du cabinet et/ou de l’entreprise dans une démarche d’amélioration continue. En posant un diagnostic des processus comptables et en identifiant d’éventuelles anomalies, il est possible de les corriger.

Les professionnels du chiffre peuvent aussi tirer parti de ce fichier pour renforcer l’accompagnement de leurs clients. L’analyse des FEC du portefeuille client du cabinet peut servir à repérer les structures nécessitant une aide spécifique sur certains sujets, comme par exemple l’optimisation de la masse salariale ou la transition numérique du client. L’expert-comptable peut aussi utiliser les données du FEC pour offrir aux entreprises un conseil en gestion enrichi : repérer un fournisseur régulier avec lequel une renégociation du contrat pourrait être possible, identifier des charges à diminuer, récupérer de la trésorerie…

Enfin, le FEC peut être à l’origine de nouvelles propositions de services. Les rôles de l’entreprise et de l’expert-comptable en matière de production, vérification et conservation du fichier sont à définir précisément dans la lettre de mission. Mais les professionnels du chiffre peuvent aussi utiliser l’analyse du FEC pour répondre à de nouvelles attentes des entreprises : calculer des ratios pour assurer un suivi en temps réel de l’activité, ou challenger la fiabilité de la Piste d’Audit Fiable (PAF) mise en place par le client.

Véritable levier de performance, le FEC constitue à lui seul une source d’opportunités pour les cabinets d’expertise comptable qui peuvent lui trouver de nombreux usages pour proposer de nouveaux services à leurs clients.

 

Déjà bien engagée, la digitalisation et la transformation de l’expertise comptable a vocation à se poursuivre. En se saisissant de l’opportunité de la data et par exemple de l’exploitation du FEC, les professionnels du chiffre se donnent toutes les chances de réussir leur transition numérique dans un contexte où la dématérialisation et l’automatisation des échanges de données entre les entreprises et l’Etat vont croissantes.

De ce mouvement vers un « Etat-plateforme », certains concluent à la probable systématisation du dépôt du FEC, préalable à une automatisation encore plus grande des contrôles fiscaux. La crise sanitaire du coronavirus illustre également la nécessité pour les cabinets d’accélérer leur évolution digitale. Pour les experts-comptables, premiers partenaires de l’entreprise, s’emparer des outils du Smart Data pour tirer parti des données du FEC et plus largement de l’ensemble des documents comptables et fiscaux de leurs clients constituera sans doute une réponse incontournable aux évolutions de l’administration.